Résumé
Après une vie bousculée par l’Histoire et transportée par la littérature, Sveltana Geier s’attelle depuis 1992 à la traduction de cinq œuvres de Dostoïevski : Crime et châtiment, L’idiot, Les démons, L’adolescent et Les frères Karamazov. Ces cinq éléphants l’accompagnent tout au long de ce récit qui dessine les traits de sa mémoire. Le film de Vadim Jendreyko, d’une densité cinématographique exceptionnelle, nous introduit dans le jardin secret de la traduction, là où l’œuvre retrouve son inspiration originale, pour y reconquérir un souffle et une essence authentique.
L'avis de Tënk
Selon la paronomase italienne « traduttore, traditore », toute traduction comporterait une forme de trahison. En observant avec attention le travail d’une vie, celui de Svetlana Geier, traductrice des grandes œuvres de Dostoïevski vers l’allemand, le cinéaste suisse Vadim Jendreyko explore les nombreuses implications de cette expression. Dressant le portrait de cette petite dame de 87 ans, érudite, brillante et formidablement têtue, il tente de percer le mystère au cœur de l’art de la traduction : une capacité à internaliser le texte à la manière de l’auteur, pour l’exprimer ensuite grâce à son propre vécu. À cette superbe et délicate ambiguïté répondent les contradictions plus douloureuses qui ont marqué le parcours de Geier, Ukrainienne rescapée du stalinisme par l’invasion allemande, puis sauvée de la guerre par son travail d’interprète pour les nazis. Sans chercher à éviter les ambivalences qui teignent ce récit, le réalisateur écoute avec tendresse et empathie, et examine patiemment ce petit bout de femme résolue à l’œuvre. Dans le bureau de Geier, chaque traduction de phrase, et chaque débat qu’elle provoque, s’avèrent plus captivants qu’une scène de film à suspense.
Charlotte Selb
Programmatrice et critique