
Argentinian Lesson
Wojciech Staroń, 2011

Dans leur film solaire Argentinian Lesson, le duo de créateurs composé du cinéaste polonais Wojciech Staroń et de sa femme Malgorzata Staroń, à la prise de son, semblent laisser la vie s’insérer dans leur art par l’entremise de la fiction. Installés pour un an en Argentine, dans la province de Misiones, ces derniers captent leurs enfants, leurs voisins, le temps qui passe et imprime à la pellicule le réel d’une vie vécue.
Quand la fiction s’invite dans le réel
Aussi contradictoire que cela puisse paraître, le documentaire emprunte parfois les voies de la fiction. Celle-ci s’immisce de toute façon partout ; elle se glisse dans la captation, entre les plans volés au réel, s’insère dans la construction du récit en salle de montage, habite notre interprétation du monde, teinte la réception des spectateur.trice.s. Nous sommes des êtres de récit, et nous construisons et déconstruisons sans cesse les histoires qui nous entourent, qui nous constituent, qui nous sont présentées sur les écrans de cinéma…
Le cinéaste Staroń ne ment pas ; il regarde autour de lui, à travers sa caméra empathique, et passe le réel dans son filtre magnifiant, densifiant, qui dévoile le foisonnement du monde, invisible pour des yeux pressés. Il cadre à la bonne hauteur l’extrême porosité de l’enfance qui tire vers sa fin, et parvient à rendre visible la perte de l'innocence, grâce à un dosage habile d’observation, de romanesque et de mythe. La relation qui se crée entre les deux enfants devient le socle d’un récit d’apprentissage magnifié par une nature luxuriante et insoumise et des situations provoquées.
Mais rien ne sert de jouer à démêler le vrai du faux, le réel de l’imaginaire, le joué du vécu. Nos vies poussent à l’ombre des récits, et s’appuient sur des tuteurs imaginaires qui nous font croître dans des directions précises; emmêlé.e.s que nous sommes dans l'arbitraire des constructions sociales qui nous précèdent. Janek et Marcia, les deux héros enfants, sont tout à la fois réels et fantasmés, et leurs épreuves, présentées avec générosité et grâce dans ce film iconoclaste, servent de miroirs aux nôtres. Ce que nous y voyons comme reflet change à chaque visionnement; et c’est là la grâce de l’art, quel qu’il soit.

