Item 1 of 4

23 jours
80 min
Lituanie, Allemagne, France, Allemagne, Ukraine, 2016

Production : Studio Uljana Kim, Extimacy Films, Twenty Twenty Vision, Rouge International, 435 Films
Ukrainien, Russe, Grec
Français, Anglais



Résumé


Tandis que la guerre entre les forces ukrainiennes et les séparatistes pro-russes faisait rage à quelques kilomètres de là, Mantas Kvedaravicius, cinéaste et anthropologue lituanien, a choisi de faire le portrait poétique de la ville de Mariupol résistant par les armes et par une furieuse volonté de vivre. C’était en 2016. Depuis, Mantas Kvedaravičius est décédé le 2 avril 2022 à Marioupol, alors qu’il documentait l’invasion de la Russie sur le territoire ukrainien.

L'avis de Tënk


Ce texte a été écrit en avril 2022.

«Mes films ne portent pas sur la guerre, mais sur la vie à côté de la guerre, la vie vécue en dépit de la guerre», disait le regretté Mantas Kvedaravičius, anthropologue social devenu cinéaste. En regardant son documentaire Mariupolis, opus et ode à sa bien-aimée Marioupol - ville où il a connu une fin prématurée à l'âge de 45 ans il y a moins d'un mois - ces mots sont d'une vérité retentissante. Pour quelqu'un qui a consacré une si grande partie de sa vie et son œuvre à essayer de documenter et de comprendre les conflits armés, le film est étrangement presque dénué de toute guerre réelle, même si, bien sûr, le public comprend très bien le contexte dans lequel nous arrivons à sa perspective de la ville ukrainienne et de ses habitant.e.s.

 

Une vie normale dans des temps anormaux, tel pourrait être le slogan de Mariupolis. Le banal est montré sous une grande luminosité, mettant en scène la vie quotidienne des gens ordinaires, avec les sirènes des bombes et des tirs d'artillerie ponctuant le paysage sonore. Qu'il s'agisse de jeunes gens magnifiquement vêtus qui dansent impeccablement lors des répétitions d'une production de théâtre, d'un père jouant avec sa petite fille adorée Katiushka et un gros tigre en peluche, d'un autre père et de sa jeune fille adulte en train de pêcher sur l'eau grise, d'une usine métallurgique d’un rouge vif où des ouvriers assistent fébriles à une séance de formation de sécurité, tout est montré, sauf le combat. Dans le sous-texte, tout est révélé sans qu'il n'y ait besoin d'armes à feu : quand il est dit à Katiushka qu'elle ne peut aller jouer dehors parce qu’il pleut, nous comprenons que la provenance de cette «pluie» est l'artillerie et non les nuages. Même les soldats représentés font des blagues, l'un d'eux demandant: «Pourquoi tous les imbéciles ne sont-ils pas morts à la guerre ?» N'attendant pas de réponse à sa question rhétorique, il enchaîne: «Parce que tous les imbéciles ne sont pas allés à la guerre !» Et tout le bataillon se met à éclater de rire.

 

«Tu veux que je te lise un conte de fées ?» demande le père de la jeune fille, et le public s'interroge sur tous les contes que nous racontons aux enfants et à nous-même en tant qu’adulte pour survivre à l'inimaginable quotidien. Mais dans cette ville côtière, au printemps, la survie est le fondement de la vie et les plaisirs simples n'en sont pas moins présents: un chien enjoué nage dans la mer, un cordonnier habile entretient et répare, des gens chantent et prient dans une église improvisée dans une baraque, lors d'un mariage avec une mariée rayonnante, l'espoir et les néons remplissent la pièce - la poésie du quotidien en images et en sons abonde.

 

Au printemps 2015, lorsque Kvedaravičius tournait ce film, pendant la période de la reprise infructueuse de Marioupol après l'occupation par la Russie de la péninsule ukrainienne de la Crimée, il était impensable que j'écrive ces lignes en avril 2022, Marioupol étant désormais une ville rasée, assiégée depuis des mois, un endroit d'où sont lancés les «derniers appels» des usines sidérurgiques autrefois glorieuses de l'Union soviétique; ces idées de progrès et d'unité tournées vers l'avenir transformées en bunkers où les dernières personnes survivantes sont assises, affamées et tremblantes, attendant leur sort. Alors que loin de là nous attendons des nouvelles de ce que nous ne pouvons pas encore confirmer mais soupçonner, retenant notre souffle, espérant que toutes nos pires craintes s'avèrent fausses - Combien de morts exactement? Comment ont-ils été tués? Quelles atrocités ont été commises? Y compris, bien sûr, la mort de Kvedaravičius elle-même - nous nous demandons si quelque chose ou quelqu'un aura survécu pour en raconter l'histoire.

 

Kvedaravičius, dans son film, ne met pas l'accent sur une position politique, n'aborde pas les causes de la guerre, ni même ne la contextualise pour le public en expliquant qui combat qui et pourquoi; ce qui est bien plus important pour lui, c'est de dépeindre comment, d'une manière ou d'une autre, nous vivons, malgré tout. Son œuvre d'une beauté stupéfiante, au moins, continuera à raconter cette histoire.

 

 

Aurora Prelević
Écrivaine, traductrice, cinéphile

Item 1 of 4
Item 1 of 4

Item 1 of 4