Résumé
Un récit d’immigration réinventé. Dans les années 1950, l’élite parisienne, menée par Chris Marker et Claude Lanzmann, se rend dans le nouvel État communiste de Corée du Nord, auquel la grand-mère de la cinéaste a prêté allégeance pendant la guerre de Corée. Cette enquête autobiographique sur la séparation familiale est inspirée par le voyage de ces personnalités françaises et leur production artistique – films, photographies et mémoires publiées – issue de cette rencontre interculturelle singulière. À mi-chemin entre le ciné-roman et l’essai diasporique, ce film explore, à travers un prisme multiple, les identités transnationales et leurs dislocations.
L'avis de Tënk
Paris to Pyongyang s’ouvre sur la fille d'Helen Lee, entièrement immergée dans l’eau, ses cheveux flottant, ses membres se déployant comme si la mémoire elle-même était en train d’être préservée. L’eau la retient, tel un utérus silencieux avant la naissance. La voix d'Helen se fait invitante : « Je lui ai demandé de se souvenir de ce qu’elle avait oublié », appelant sa mère à la surface d'un souvenir longtemps enfoui.
Trois générations de femmes se rassemblent pour redonner vie à l’histoire de la grand-mère d'Helen, Kim Kwon-ho. Helen guide le témoignage de sa mère, et celle-ci s'exprime autant à travers les archives que de sa douleur. À l’écran, la fille d'Helen incarne sa grand-mère, dans un geste qui dépasse la reconstitution pour devenir réparation. Chaque femme occupe son propre espace, et ensemble, elles tissent une reprise de parole et de mémoire qu’aucune voix seule n’aurait pu porter.
Sous ces eaux personnelles affleure le courant du déplacement. Des échos de frontières coloniales tracées sans consentement, de familles séparées de force. Helen exhume Moranbong (1958) — ce film franco-nord-coréen longtemps enfoui et censuré pour ses images de guerre sans concession — non comme un spectacle, mais comme une lentille braquée sur ce qui a été perdu. Le regard occidental s’y transforme, passant du voyeurisme à la filiation, de la distance à la connexion.
À mesure que l’eau emporte ces récits, le film devient un lieu de solidarité collective. Il nous invite à être témoins, à accueillir ces voix sans les marginaliser, à prendre en main ce qui a survécu à l’effacement, et à poursuivre l’élan de guérison qu’elles amorcent.
Leila Almawy
Cinéaste et ancienne étudiante de l'Université de York