Résumé
Ouganda, 1989. Joseph Kony, un jeune insurgé acholi guidé par des esprits, forme un nouveau mouvement rebelle contre le pouvoir central : l’Armée de résistance du Seigneur (LRA). Une armée qui se développe au fil des ans par des enlèvements d’adolescent.e.s – plus de 60 000 en 25 ans – dont moins de la moitié en ressortent vivant.e.s. Geofrey, Nighty, Mike et Lapisa, enlevé.e.s à l’âge de 12 ou 13 ans, font partie de ce nombre. Aujourd’hui, ils tentent de se reconstruire, de retrouver une vie normale, et reviennent sur les lieux qui ont marqué leur enfance volée.
L'avis de Tënk
La liste des choses innommables qui se succèdent dans ce documentaire est effarante. Le bilan des atrocités commises par le conflit qu’il met en lumière l’est tout autant; 60 000 enfants enlevés et transformés en soldats en 25 ans, 100 000 morts, 2 millions de déplacés. Les lois mathématiques entourant le mal sont sans ambiguïté; la violence engendre la violence. Et inlassablement, la même question est posée : comment en briser le cycle? Or, la perspective employée par Jonathan Littell pour y répondre - lui qui avait mis en scène la banalité du mal à travers les mémoires d’un officier SS dans son roman-phare Les Bienveillantes - est justement celle de l’ambiguïté. En donnant la parole à d’ancien.ne.s enfant.e.s soldat.e.s, Littell s’aventure dans la zone délicate qui sépare les victimes des bourreaux.
Kidnappés enfants, arrachés à leur famille, soumis aux pires traitements, ces jeunes adultes révèlent aujourd’hui à la caméra leur passé sanguinaire. Si les confidences font pâlir d’effroi, il est impossible de ne pas les voir comme les victimes des tortionnaires mystiques qui guidaient les rangs de la LRA. Or quand un ancien commandant accusé de crimes de guerre et traduit en justice au Tribunal pénal international de La Haye confie avoir été lui-même enlevé à l’âge de 10 ans et enrôlé de force, le concept de victime tient-il toujours? Quand un homme tente d’assassiner un ancien enfant soldat pour venger sa famille décimée, qui le traiterait de fou? Les frontières qui délimitent le bien et le mal sont poreuses ici et nous plongent dans un grand vertige moral. Il faudra beaucoup de résilience pour que les graines semées par la violence des dernières années essaiment en autre chose qu’en haine. Mais le sourire des trois protagonistes et leur camaraderie solidaire laissent peut-être présager quelque chose comme de l’espoir.
Naomie Décarie-Daigneault
Directrice artistique de Tënk