Résumé
Night Labor suit Sherman Frank Merchant, un Downeaster de 46 ans mesurant 6 pieds 6 pouces, dans sa transition de pêcheur de palourdes indépendant et robuste le jour à ouvrier d’usine la nuit. Avec sa blouse blanche, son arsenal de couteaux et son béret noir caractéristique, Sherman s’acquitte des tâches de préparation et de disposition des outils pour les travailleurs de jour qui arrivent pour leur quart de 6 h du matin.
L'avis de Tënk
Le grondement strident d’un orage qui s’annonce. Le trille des oiseaux qui jasent en attente de la pluie. Le crépitement du déluge qui frappe la surface de l’eau au bord du rivage. Le raclement de la pelle qui fouille le sable détrempé du bord de mer. Le halètement de la respiration de l’homme qui travaille dur pour déloger les palourdes de leur cachette sur la grève. Le bourdonnement du vent qui frappe le microphone. À peine trois minutes de film se sont écoulées et un ton s’est déjà installé. S’y ajouteront plus tard le bruit du couteau qui coupe les têtes de poisson sur le comptoir en acier inoxydable de l’usine, celui des chaînes de travail, celui des boîtes de crustacés qu’on empile, et la rumeur des conversations d’employé·e·s par-dessus la cacophonie des machineries. Ce qui frappe par-dessus tout dans ce documentaire-chronique du quotidien tout en non-dit est sa singulière bande sonore, peuplée essentiellement des bruits diégétiques des activités de son sujet, Sherman Merchant, et par les marmonnages et chantonnements constants de celui-ci. Âgé d’à peine 46 ans, nous dit le synopsis, Sherman paraît pourtant bien plus vieux, buriné par le sel dans l’air marin de la côte est du Canada et des États-Unis, mais aussi par ce qui semble une vie rude et solitaire.
En le suivant dans cette existence presque sauvage, les cinéastes brossent le portrait d’un homme qu’on pourrait croire isolé ou même asocial tant il est seul dans cet univers de glaise barbottante et d’usine blanche sous les néons de la nuit. Qui est-il vraiment? Cette vie isolée qu’il mène, y est-il contraint? Par tempérament? Les circonstances? Ou a-t-il choisi cette vie? Et où vit réellement ce Downeaster? Sur les côtes des provinces atlantiques canadiennes? Ou plutôt du côté du Maine? Difficile de le savoir vraiment. Pourtant, il semble se plaire dans son monde où il est en plein contrôle de sa routine, de ses tâches, de son sens du travail bien fait, dans l’éternel recommencement des mouvements rassurants, confortants, qui produiront toujours le même résultat escompté. La durée des plans, assez longue, y est pour quelque chose, soulignant le côté répétitif de la besogne à accomplir. Il y a quelque chose de fascinant, presque hypnotisant, dans ces chuchotements continus et ces journées en boucle. Et lorsque, vers la fin du film, surgissent finalement des travailleur·euse·s diurnes qui préparent les prises du jour (poisson, homard) pour la vente et l’expédition, c’est presque une surprise de les découvrir tout à coup et de constater que, à l’exception d’une aide à déplacer les boîtes, Sherman reste en périphérie, épiant l’activité à l’intérieur de l’usine par une fenêtre de porte, plongé dans la noirceur. Il n’est pas vraiment de ce monde-là. Il appartient davantage à celui du bord de mer et de la compagnie des goélands.
Claire Valade
Critique et programmatrice