Résumé
En 1971, Jean Eustache eut l’idée de filmer sa grand-mère Odette Robert. Celle-ci lui raconte sa vie : sa jeunesse malheureuse, son mariage précoce avec un homme cavaleur, la mort tragique de ses parents, de ses enfants… Un témoignage poignant de la vie d’une femme du début du siècle dernier, entre cigarettes et whisky.
L'avis de Tënk
Version réduite de Numéro zéro, Odette Robert est le projet limpide d'un cinéaste filmant sa grand-mère durant quatre heures – deux magasins de la caméra pleins : pas plus, pas moins. Dans ce dispositif d'une magnifique nudité, difficile d’être davantage dans le biographique; on saisit d’une façon à la fois complexe et synthétique ce qui conditionne une existence, un destin, comment ils sont écrits par des mouvements – l'Histoire, le social – dépassant les individus. Avec Jean Eustache en amorce du plan, c’est aussi un jeu de miroir qui se produit avec Odette Robert : on hérite des vies de nos aïeul·e·s. Elles infusent en nous qui en sommes les légataires, qu'on le veuille ou non. C'est une évidence qu'il s’agit d’un film très important pour la parole dans le cinéma; Jean Eustache démontre qu'il peut se déployer en se fondant sur elle, grâce au(x) corps à l’image, mais aussi parce que les mots eux-mêmes sont des images fortes, marquantes, bouleversantes. Anecdote troublante et « parlante » que celle de Wang Bing qui réalisa Fengming, chronique d’une femme chinoise (2007) après avoir vu Numéro zéro. Sans en comprendre le moindre mot.
Arnaud Hée
Programmateur, enseignant et critique