Résumé
Tu as crié LET ME GO est un film intime et déchirant dans lequel la cinéaste Anne Claire Poirier entreprend une enquête personnelle sur la mort tragique de sa fille Yanne, assassinée à l’âge de 26 ans. Ancienne toxicomane et prostituée, Yanne avait sombré dans les marges de la société. À travers ce film, la réalisatrice part à la rencontre de celles et ceux qui vivent ou interviennent auprès de personnes aux prises avec la toxicomanie, la prostitution et le sida, dans l’espoir de mieux comprendre le parcours de sa fille et celui de tant d’autres jeunes en détresse. Le film s’interroge sur le sens profond des événements qui ont mené à cette mort violente et sur le difficile travail de deuil d’une mère confrontée à l’inacceptable.
L'avis de Tënk
Un noir et blanc granuleux et le cri strident des violons qui pleurent portent ce documentaire terriblement dur, mais nécessaire, sur la toxicomanie et ses répercussions tentaculaires si difficiles à mesurer, comme cette impuissance si dure à accepter pour l’entourage d’un·e junkie. Une tristesse infinie parcourt Tu as crié LET ME GO, celle d’Anne Claire Poirier, sa réalisatrice, bien sûr, qui utilise ses capacités cinématographiques considérables pour réfléchir à la perte tragique de sa fille, Yanne, pour faire la paix avec cette perte, mais aussi pour essayer de comprendre comment elle a pu en arriver là, comment des personnes, toxicomanes comme elle, vivent et meurent en raison de leur affliction, comment réussir à les aider ou à accepter le fait qu’il peut être impossible de le faire. Et à accepter que les réponses ne soient pas toujours nettes, et même qu’elles n’existent pas toujours.
Au-delà du récit de son propre parcours vers l’acceptation et l’apaisement, qu’elle nous raconte elle-même en voix off et qu’elle parsème tout au long du film sur des images des lieux liés à la mort violente de sa fille (cimetière dans la neige, palais de justice, ruelles montréalaises, quartiers défavorisés, parc outremontais) ou des images symboliques (iceberg dans la mer, arbres, acrobate virevoltante), Anne Claire Poirier va aussi à la rencontre d’autres gens. Des gens qui ont vécu la lente déchéance d’un·e enfant, des gens qui ont eux-mêmes sombré dans la drogue, des gens qui travaillent dans la rue auprès des premiers, des gens qui ont réussi à se sortir de cet enfer et de celui de la prostitution adjacente, des gens qui tentent de briser la vision négative et néfaste des toxicomanes et de les aider, de traiter leur dépendance, de leur redonner une dignité et une humanité trop souvent bafouées ou ignorées. La pudeur et la retenue dont fait preuve la cinéaste qui refuse de montrer certaines images de ce qu’elle décrit dans sa narration — les corps amaigris, les abcès, la douleur — offrent une dénonciation du silence qui entoure la toxicomanie, selon ses propres mots, étonnamment puissante en raison du respect qu’elle préserve ainsi pour les victimes de la drogue. Ce qui ressort de ce très beau film triste, de la souffrance qui y est exprimée (celle des toxicomanes, celle de leur entourage), c’est l’espoir et la lumière qui viennent lorsqu’on apprend à laisser aller ce sur quoi on n’a malheureusement aucune prise, mais sans laisser aller l’amour qu’on éprouve envers nos êtres chers.
Claire Valade
Critique et programmatrice