Résumé
Deux cinéastes échangent des impressions du lieu et du moment par le biais de ciné-lettres, étayées par une trame sonore qui oscille entre réel et immatériel. Les sons deviennent alors narration et portent les images mouvantes d’une rencontre qui se profile au gré des bobines 16mm qui alternent de l’un·e à l’autre.
L'avis de Tënk
Deux cinéastes, dans les vagues et entre les vagues de la COVID, entreprennent un échange « épistolaire » nouveau genre, non seulement sans lettres, mais aussi sans mots, tout en images et en sons. Au fil des mois, entre juillet et octobre 2021, les bobines de pellicule 16 mm passent de Claudie Lévesque à Ilyaa Ghafouri, captant et scellant des tranches de vie saisies par l’une et par l’autre dans toute leur glorieuse ordinarité. L’échange s’amorce de part et d’autre dans la tranquillité vibrante et résonnante de la campagne, les champs d’herbes hautes et de fleurs sauvages, les arbres et leur feuillage troublés par le vent, le sifflement omniprésent des grillons et le cri des outardes — mais est-ce bien elles ? — ou d’autres oiseaux ou animaux qui s’interpellent, de loin en loin. Au gré de cette correspondance, le film passe d’un monde où la nature règne en maître à un monde dominé par l’être humain. Dans les premières images, les êtres humains sont pratiquement absents; si ce n’était du cadre volontairement obstrué par moments du côté droit, des mouvements de caméra trop rapides pour capter clairement les éléments filmés et des flous voulus sur la verdoyante campagne qui laissent deviner une présence humaine derrière la caméra, rien ne permettrait de croire que les lieux sont habités. Dès la seconde « lettre », cette présence humaine s’annonce par des plans sur une maison dans une sorte de sous-bois. Puis les cinéastes reviennent en ville. Pourtant, outre l’incursion de bruits de voitures au milieu d’images de la circulation, et si l’humanité est partout, de la fameuse maison rose perchée de Saint-Henri aux bâtiments industriels, la nature continue aussi d’habiter l’écran, que ce soit par le flot bruyant de l’eau du canal Lachine ou les arbres des parcs. Même sans paroles, la bande sonore vive et scintillante raconte clairement une histoire, celle de deux vies, de moments privilégiés captés sur le vif, alors que l’humanité est aux prises entre isolement et rapprochement, distanciation et retrouvailles, et qu’une rencontre trouve tout de même le moyen de se produire entre deux artistes qui établissent un dialogue par l’entremise de témoignages interposés sur leur quotidien.
Claire Valade
Critique et programmatrice