Résumé
Articles, photographies, esquisses, tubes de peinture et toiles jonchent le studio londonien de Francis Bacon. Un lieu de travail où passent aussi ami·e·s, amants et figures excentriques qui reviendront hanter ses toiles à l’issue d’une mystérieuse alchimie de la création. Bacon s’explique en français sur son rapport charnel à ses toiles, sur les peintres qui l’inspirent, sur son rapport à l’alcool, à la violence et à la mort. Il évoque son homosexualité, sa vie personnelle et le débordement excessif de celle-ci dans sa peinture. Un portrait exceptionnel saisi sur le vif, au fil d’une conversation à bâtons rompus menée dans le désordre et l’alcool.
L'avis de Tënk
Nous sommes en juillet 1964 et, pour le compte de la télévision suisse romande, le réalisateur Pierre Koralnik filme Bacon dans son atelier, à Londres. Ce dernier a 55 ans.
D’abord, pour les spectateurs que nous sommes, le fait que cette pièce unique soit destinée à la télévision fait rêver. Tourné en mode « cinéma vérité », ce segment du magazine d’information mensuel Continents sans Visa adopte une perspective difficilement imaginable aujourd’hui. La trame musicale ponctue d’une tension étrange la nervosité de la caméra, qui semble se frapper aux entités qu’elle rencontre, livrant un tourbillon ivre et enfumé d’où émergent les confidences inquiètes et maniaques de l’artiste.
L’artiste. Rare témoignage vidéo de sa présence fiévreuse. Tel un papillon de nuit pris au piège, il volette d’un endroit à l’autre, tournoie et hésite, puis fait face à la caméra pour délivrer quelques aphorismes sur son travail. Le journaliste insiste trop. Les amis rôdent comme autant de vautours. Le piège se referme sur Bacon, de plus en plus saoul, de plus en plus sincère et à vif. Ossatures, crânes déformés, mâchoires et dents… L’univers pulsionnel, acéré et violent de l’artiste rebondit et résonne sur les mots employés par Bacon : dégout, sort, présage, détournement, magie, beauté… On croirait voir le dévoilement de l’indiscipline des émotions et des sensations. Une archive éblouissante de tourments et de vérité, qui transmet en quelque 20 minutes un peu de la nécessaire fureur de vivre d’un des plus grands et originaux peintres de son époque.
Naomie Décarie-Daigneault
Directrice artistique de Tënk