Résumé
L’histoire vraie d’Ahlam, adolescente mère ayant fui l’Irak, portée par un désir de liberté. La narratrice raconte ses souvenirs, dans un voyage métaphorique au coeur d’un aéroport, où se mêlent rêves et fantômes du passé.
L'avis de Tënk
Plongée, contre-plongée.
Shadows fait partie de ces films qui inspirent un profond sentiment d’harmonie, du moins formellement. Le cinéma d’animation a ce pouvoir d’attirer l’attention vers ses ficelles et ses rouages, sans pour autant que ce geste n’en devienne distrayant. Ici, la réalisatrice connaît très bien cette réalité et en fait bon usage. La forme de son plus récent court métrage, aussi colorée qu’éclatante — non sans rappeler le regard enfantin de sa protagoniste —, arrive à faire briller la parole d’Ahlam, voire à élever son histoire au rang des grandes tragédies, et ce, tout en brillant elle-même de mille feux. L’une ne supplante jamais l’autre. L’union y est totale. Grandiose.
Pas nécessaire de cacher les traits de crayon, ni de subtiliser sa palette de couleur. Avec Rand Beiruty, le dessin lui-même est vecteur de sens. À cet égard, le choix de perspectives frappe par sa singularité. Cet enchaînement de plongées et de contre-plongées, parfois à l’extrême, déformant les jambes, les têtes et les bras de ces personnages qui virevoltent autour de la protagoniste, nous renvoie toujours à la même pensée : voilà une enfant perdue dans un monde d’adultes. Des adultes trop grands pour elle. Des adultes trop vieux, déconnectés, déconcentrés. Trop loin. Ils sont là-haut, ces gens, hors d’atteinte, hors de portée. Presque personne ne baisse le regard ou ne lui tend la main.
Or, ce sont ces mêmes adultes qui l’ont propulsée dans ce terrible environnement. Un environnement marital qu’elle a inévitablement dû fuir. À fort prix. Un prix… impensable, et à l’âge de treize ans. Ahlam, qui déambule dans cet aéroport aussi réel qu’imaginaire — parcelles de souvenirs dont les fondations s’embrouillent à mesure qu’elles se révèlent — n’est qu’une enfant. Voilà ce que ces traits de crayon, aussi colorés qu’expressifs, s’époumonent à nous faire comprendre. Ce qu’ils s’entêtent à nous rappeler : ce n’était qu’une enfant.
Ce n’était qu’une enfant.
Jason Todd
Programmateur et cinéaste